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![]() ![]() ![]() Aprés c'est vrai que l'histoire romaine est tellement riche en trahisons de toutes sortes que même en accentuant beaucoup de chose, ça semble encore crédible ![]() Chapitre 6 : le choix de Julius Sentencius Alors que nous quittions notre dernière halte, un courrier appris à la Cour que le Sénat s’était enfin rallié à Marc Aurèle, et fait d’Avidius Cassius un ennemi de la Nation. Tout citoyen romain avait donc le devoir de s’en prendre à Cassius par tout moyen, et son éventuel meurtrier recevrait les remerciements du Sénat. Quand je pensais à ces vieux croûtons desséchés se réunissant dans la Curie afin de prendre ce type de décisions, je ne pouvais qu’éprouver un écoeurement certain. Les Sénateurs, qui avaient autrefois fait la grandeur de Rome, n’étaient plus que l’émanation satisfaite de notables serviles qui s’étaient peu à peu déchargés de toutes leurs responsabilités sur le dos de l’empereur, faisant du Sénat un coquille vide dont je ne comprenais plus vraiment la nécessité. Etant grec, il était évident pour moi qu’une assemblée se devait d’avoir un réel pouvoir, et que la soumission des Sénateurs allait à l’encontre de ce qu’on pouvait attendre d’un tel organe. ![]() A Rome, quand l'empereur n'est pas là, le sénat danse Marc Aurèle n’était heureusement pas de ces hommes qui éprouvent du bonheur devant la servilité des autres, et il appela publiquement à un peu plus de clémence envers Avidius Cassius. C’est certainement là que j’ai, pour la première fois, pris en défaut l’empereur philosophe, dont le comportement par la suite sembla démentir ses belles paroles. Nous avancions dans une région particulièrement désertique, par une chaleur étouffante, et bien que parfaitement entraînées, les légions commençaient à marquer le coup après les milliers de kilomètres franchis à une allure soutenue. Les hommes devaient certainement penser aux hommes reposés qu’ils auraient à affronter d’ici quelques jours, des Romains comme eux, qui utiliseraient les mêmes armes, les mêmes tactiques, sur un terrain qu’ils connaissaient. L’étendue de la rébellion serait déterminante, même s’il semblait de prime abord que les légions d’Arabie et de la frontière parthe n’avaient pas rejoint Cassius. Contrairement à la seule crainte qu’avait pu avoir l’empereur, ses troupes ne seraient pas en sous nombre. C’est une nuit, alors que le campement provisoire venait d’être achevé, qu’un cavalier isolé fit irruption et, abandonnant un cheval exténué aux soins d’esclaves, demanda une audience avec l’empereur. Sa cape et ses signes distinctifs étaient ceux d’un centurion, plus précisément un officier de ce qui devait être (je l’appris par la suite) la IIéme Légion Trajana Fortis, basée à Nicopolis, à proximité d’Alexandrie. En tant que proche de l’empereur, j’eus l’opportunité d’assister à l’entrevue, de même que les officiers de Marc Aurèle, Commode et son entourage (Schnickeon, Perennis et Chal) C’est ainsi que je découvris pour la première fois cet étrange centurion qu’était Julius Sentencius. Grand, un visage qui avait autrefois certainement du séduire nombre d’autochtones, mais qui était aujourd’hui balayé par une grande balafre, souvenir d’une bataille en Arménie, un regard décidé qui vous vrillait jusqu’à vous rendre mal à l’aise, l’homme était l’exact image que l’on pouvait se faire d’un homme sorti du rang et qui, par ses exploits militaires, avait abouti au grade envié de centurion. Reconnu et estimé par son général, Avidius Cassius, il avait pu passer devant les 59 autres centurions de la Légion pour devenir centurion primipile : en charge de la première centurie de la première manipule de la première cohorte, c’était à lui que revenait l’honneur de lancer le premier son pilum sur les troupes adverses lors d’une bataille. L’homme était ainsi reconnu comme étant le plus valeureux des hommes de la légion. ![]() Pas de pacotille ! Cuirasse ouverte, chaine en or qui brille, je danse le Sentenzia ! Aussi les nouvelles qu’il nous apporta d’Alexandrie nous stupéfiâmes, surtout quand on connaît l’honneur des soldats et leur dévouement pour leur général, fut-il classé comme traître par le Sénat. L’histoire avait été jalonnée de légionnaires qui avaient donné leur vie pour un général parti à la conquête de Rome. Il en avait été différemment dans le cas présent, comme voulu le prouver Sentencius en déposant un sac de jute sur l’une des tables de la pièce ou nous étions tous. Marc Aurèle, qui comprit aussitôt de quoi il retournait, gratifia Sentencius d’un regard où colère et tristesse semblaient mêlés. Il quitta la pièce, tandis que nous restions encore hypnotisés par ce sac noirci par la poussière et dont nous ne pouvions désormais faire abstraction de l’odeur lancinante qui s’en dégageait. Sous le regard imperturbable de Sentencius, Schnickeon renversa le sac sur la table et recula dans un sursaut, non sans avoir laissé s’échapper un cri qu'on aurait cru celui d'une femme. Je restais paralysé, tandis que Commode se rapprochait de la table, pour mieux observer la tête sanglante d’Avidius Cassius. Je détachais enfin les yeux du trophée morbide et remontait jusqu’au centurion Julius Sentencius. Un homme capable de décapiter froidement son supérieur, un homme capable d’assassiner celui qui l’avait mis là où il était, un homme capable de trahir l’un des plus grands vainqueurs en Orient, cet homme là, quel que soit son courage ou ses motivations, n’avait plus grand-chose d’humain. ![]() Le général Avidius Cassius, Empereur pendant 3 mois avant d'être décapité par un centurion un tantinet énervé... Alors que Commode laissait percer un sourire, je sortais de la pièce avec la furieuse envie de vomir, sous le regard glacial de Schnickeon. Me mettant à courir dans les couloirs, j’essayais vainement d’échapper au rire tonitruant qui sortait de la pièce, un rire d’une rare indécence, le rire d’un maniaque en pleine extase, annonçant la fin d’un siècle de Raison. |
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Un petit portrait du centurion, Julius Sentencius, pour les possibles fans
![]() ![]() Comme disait un célébre humoriste nous ayant quitté il y a 20 ans : Etonnant, non ? |
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C'est très bien écrit, vraiment !
Remarques : 1) Dans la GPO, Danton et moi étions de pures brebis ![]() 2) Je note une répugnance du sieur marlouf à me faire apparaitre dans ses AARS. O tempora, o mores... As tu oublié notre fraternel passé ? Ces journées que j'ai passé à te réconforter le dimanche matin pour te dire que non, tu n'étais pas anormal.... Ingratitude de la jeunesse ![]() 3) L'Augusta Agrippine a certes probablement trempé dans la mort de Claude, mais sûrement pas d'Ahenobarbus. Dire que cette pauvre dame a empoisonné ses maris me semble donc exagéré ![]()
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![]() [20:58:20] Akmar Nibelung, Gott dit: je m'incruste pour faire genre j'ai des amis autres que les pizzas |
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![]() Citation:
1) Nous n'avons pas les mêmes souvenirs ![]() ![]() 2) J'ai bien pensé à toi comme un ascéte amenant un fils de bonne famille, Jmlus, sur la voie qui fut la sienne par la suite : honni des siens, rejeté, obligé de s'enfuir en Créte... enfin j'en parlerais plus tard ![]() 3) Tiens, il me pensait qu'elle avait déjà trempé dans la disparition du premier, en utilisant les soins d'une célébre empoisonneuse de Rome... Enfin je fais parfaitement confiance à tes connaissances là dessus ![]() ![]() |
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![]() Citation:
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Bon, Madounet, faudrait s'y remettre...
Je sais que ce n'est pas commode ![]()
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Ce sont les événements qui commandent aux hommes et non les hommes aux événements. Hérodote Rien n'arrête le progrès. Il s'arrête tout seul. Alexandre Vialatte |
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![]() ![]() J'étais ailleurs ce week end pour le boulot, donc je n'ai pas eu le temps de m'y remettre, et je suis rentré lundi soir... mais bon la suite est tout à fait faisable d'ici ce soir. Ce sera peut être l'occasion de découvrir le côté trés sombre d'Otto Grandpieos ![]() |
#8
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Chapitre 9 : La main tendue de Schnickeon
Schnickeon reprit dans sa main la petite fiole qu’il avait posée sur la table. La manipulant doucement, il la renversa et posa son doigt sur l’orifice, comme pour y retrouver une quelconque trace d’humidité, une goutte de poison. Il reposa le récipient en nacre à proximité des feuillets écrits par Faustine. « - Imaginons un instant, Otto, que je sois empereur. Ma femme meurt étrangement lors d’un voyage en Orient, apparemment de fatigue, alors même qu’elle était soignée par un médecin extrêmement compétent, assez compétent d’ailleurs pour m’avoir déjà sauvé plusieurs fois, là où tous pensaient la chose improbable. Imagine donc, qu’un matin, alors que je fais appeler quelques serviteurs pour me nourrir – oh, bien frugalement, je suis un vieil homme … et bien on m’amène en plus du déjeuner une petite surprise : la correspondance écrite par ma femme à l’un de mes valeureux généraux. Comment penses-tu que je réagirais, si j’apprenais que mon médecin personnel, celui entre les mains duquel j’ai laissé le soin de ma propre vie, lui donnant un pouvoir supérieur aux Dieux, travaillait en secret pour ma femme ? Lui dévoilait tout de mon état, mais aussi, peut être, des affaires courantes de l’Empire ? Tu as du en entendre des choses, Otto, après ces années passées auprès de l’Empereur… Et voilà soudainement qu’à l’instigation de ma femme, le meilleur de mes généraux se dresse contre moi et tente de s’emparer du pouvoir ? Qui aurait ainsi pu tourner l’esprit d’une simple femme, sinon son médecin ? Et comment réagirai-je en apprenant que celui que j’ai engagé pour me soigner s’occupait intimement des petits maux de Faustine, à mon insu, alors même que je croulais sous la charge de l’Etat ? Oh, suis-je bête ! Est-ce encore un médecin ? Que devrais-je penser quand je verrais cette fiole, et que j’apprendrais que Faustine a été empoisonnée ? Tu penses que stupidement, je prendrais quelques feuillets afin d’y écrire mes lamentations ringardes à destination de la postérité ? Non, non, je sais ce que tu penses, Marc Aurèle pourrait quand même te croire, te pardonner, et estimer qu’un complot bien plus grave est ourdi en secret par d’autres de ses proches ? Pauvre imbécile, tu ne vois pas qu’il fait traquer la famille d’Avidius à travers tout l’Empire pour les punir des agissements de Cassius ? L’Histoire sera écrite selon la magnanimité proverbiale de Marc Aurèle, alors qu’il fait assassiner tout témoin de ce complot, et que Sentencius ira débusquer jusqu’à la pointe de la Lusitanie les fils Cassius pour les égorger ! Crois moi, Otto, si tu parles, tu mourras, ta femme sera égorgée et son sang souillera les derniers instants de conscience que tu auras ! Ta fille sera violée par un légionnaire peu regardant avant d’être elle aussi massacrée, et je suis sur qu’en bon médecin, tu apprécieras de contempler le temps nécessaire à une fille de 11 ans pour se vider de son sang. Une minute ? Moins ? Ou un peu plus ? Fais quoi que ce soit en direction de Marc Aurèle, et tu mourras. Essaie de fuir, et tu mourras. Si tu ne nous obéis pas, je jure par les Dieux que ta famille ne te survivra pas et que ton frère Chazam finira sa vie dans une arène, les tripes étalées sur le sable. Tu veux tenter l’aventure, Otto ? Autant jouer ta vie au dés, tu aurais plus de chances de sortir gagnant ! Pauvre Otto, regarde toi, qui te croyait au dessus des autres, as-tu oublié d’où tu venais ? Tu errais dans les mêmes ruelles athéniennes que moi, et pourtant tu continues à me regarder comme si j’étais un nuisible qu’on écrase du talon ? Mais les miens te survivront, Otto, car nous sommes l’avenir ! » Schnickeon s’arrêta, les lèvres encore enflammées par les propos qu’il avait tenus. Tout en reprenant son souffle, il prit dans ses mains les feuillets qui jonchaient la table, et les remit dans les plis de sa toge. Il se saisit également du flacon de nacre, son assurance sur mon silence. Sur un signe qu’il adressa au colosse qui se tenait toujours dans un angle de la pièce, celui-ci ouvrit la porte qui donnait sur l’extérieur, une petite cour sombre et malodorante, certainement dans un des quartiers populeux d’Alexandrie. Schnickeon jeta un dernier regard sur moi et, pour la première fois, je le vis réellement sourire, le visage de l’homme fier de la tâche accomplie. Il disparu à la suite de l’esclave, et quelques instants plus tard, j’entendais des bruits de sabots s’éloigner. Je me levais enfin, et le vertige qui s’empara de moi n’était pas dû uniquement au coup que j’avais reçu sur la tête. Je passais la porte par laquelle était sorti Schnickeon quelques minutes plus tôt, traversais la cour et après être passé sous une petite arche, me retrouvait dans une ruelle qui ne me disait strictement rien. L’endroit parfait pour Schnickeon, qui avait fait des ruelles et impasses d’Athènes son royaume, mais où je me retrouvais particulièrement vulnérable. Les quelques heures que je passais à errer dans ce dédale de rues obscures et désertes avant de retrouver enfin un carrefour qui me disait quelque chose, je les mis à profit pour méditer ce qui s’était dit durant cette nuit. Schnickeon avait, je l’admettais avec horreur, raison sur certains points. ![]() Ah ouais, super, Mappy, super ... Quel que soit le bout par lequel je prenais ce qui s’était passé depuis 3 mois, ma situation était inextricable, et ma famille potentiellement en danger. Quelques semaines auparavant, j’aurais encore pu croire en la miséricorde de Marc Aurèle, mais la nouvelle facette du personnage que je découvrais avec le véritable contrat passé sur le dos de la famille d’Avidius Cassius et exécuté par Julius Sentencius, qui se comportait là plus comme un vulgaire exécutant que comme un centurion de la Légion romaine, avait laissé des marques profondes sur l’opinion que j’avais du vieil empereur. Pour la première fois, j’avais réellement peur, au point qu’il m’arriva, certaines nuits, de ne pouvoir trouver le repos, me tournant et me retournant, fuyant un sommeil dont les promesses étaient lourdes de menaces. Je tombais enfin sur un poste tenu par des cohortes civiles, chargées de la lutte contre les incendies, et ils m’indiquèrent le chemin à prendre pour gagner le centre de la ville. J’arrivais exténué et allait soigner les marques que je portais sur le corps et le haut du crâne. Peu avant le lever du soleil, j’allais observer ma fille qui dormait encore, regardant sa poitrine se soulever et s’abaisser au rythme de sa respiration tranquille. Une fois n’était pas coutume, j’allais me coucher dans la même pièce que celle occupée par ma femme, l’observant à la dérobée, comme si mon regard trop insistant aurait pu la réveiller. La question qui m’obséda jusqu’à ce qu’enfin je trouve le sommeil, fut bien entendu le pourquoi. Pourquoi Schnickeon me demandait de garder ainsi le silence et n’utilisait pas ce qu’il avait pour m’éliminer, moi l’exemple même du notable grec qu’il exécrait entre tous. ![]() Les cohortes civiles chargées de la protection contre l'incendie (ici deux préposés au seau d'eau luttant contre le grand incendie de 64 à Rome) Bien sur je fus réveillé plus tôt que prévu par les hauts cris de ma femme, qui découvrait l’étendue des ecchymoses qui me striaient le corps. Je la rassurais autant que je pus, incapable de trouver une explication valable, et elle mit certainement cela sur le compte de quelques voleurs qui avaient voulu tâter de la bourse d’un Grec. Lorsque le soir, je me rendis au repas qui ponctuait chaque journée, et où Marc Aurèle pouvait ainsi retrouver tous ses proches, quelques regards étonnés accompagnèrent mon arrivée. C’était là deuxième fois que j’arrivais à l’un de ces repas avec, en mon tréfonds, un secret caché à Marc Aurèle. Je ne fus qu’à moitié étonné lorsque l’un des favoris de Commode, Perennis, nargua mon aspect dépenaillé, sous l’œil amusé de Commode. Ils étaient dans la confidence, j’en étais presque sur. Commode avait-il en revanche la moindre idée concernant la disparition de sa mère, sur ce poison préparé par moi-même et traîtreusement confié à Faustine par Schnickeon ? Je n’en avais alors qu’une idée bien confuse, même si le personnage de Commode ne me laissait aucun doute sur son indifférence quand à la mort de Faustine. Dans les faits, celle-ci n’avait finalement pas moins qu’essayé de marginaliser son fils pour mettre le général Cassius sur le trône. A la question qui ne manqua pas d’être posée sur la cause de mon état, et alors que la salle faisait silence en espérant saisir quelques bribes de ce qui serait colporté dehors - certainement sur le médecin grec faisant le coups de poing avec des introvertis alexandriens - j’hésitais quelques instants, avant de répondre : - Une mauvaise chute, une mule montée par un âne… Et tandis que les rires secouaient les convives et que Marc Aurèle souriait pour une rare fois, je songeais à l’accord que je venais de passer, par ces mots, avec Schnickeon. ![]() Encore une soirée trés légére, avec en entrée des ravioles au foie gras de zébu sur son lit de litchis. |
#9
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Chapitre 10 : Tous les chemins ménent à Rome
![]() Rome et son périph bouché par les char à boeufs (enfin là, c'est dimanche) Le temps du retour vers Rome était venu. Plus de 6 ans d’absence obligeaient maintenant l’Empereur à regagner le cœur de l’empire, et aucun danger ne pouvait légitimer plus longtemps sa présence aux frontières. La rébellion de Cassius avait pris fin, l’Arménie avait été provisoirement délaisse par les Parthes, et tout semblait indiquer que les Barbares ne feraient plus d’incursion au sud du Latium. S’il ne pouvait donc différer son voyage, Marc Aurèle imposa un passage par la Grèce, où il espérait prendre un peu de temps pour rencontrer les philosophes athéniens, déambuler parmi les constructions magistrales de l’Acropole et retrouver un peu de sérénité. La mort de Faustine semblait l’avoir terriblement abattu, au point que les quelques 4 années qui lui restait à vivre semblaient, médicalement, inespérés. Le voyage vers la Grèce prit bien moins de temps qu’à l’aller. N’ayant plus besoin de nous déplacer avec de lourds contingents armés, nous partîmes en équipage léger, laissant la fin du printemps nous pousser à travers la Syrie, tandis que nous faisions quelques haltes symboliques, à Antioche, Tarse ou Smyrne. Bien que l’accueil se révéla généralement plus naturel que l’année précédente (l’absence des Légions, certainement…) je ne pus que constater un phénomène nouveau pour moi, qui ne connaissait finalement pas très bien l’Orient. Les sectes chrétiennes, sur le compte desquelles courraient les pires des horreurs, semblaient prospérer dans la région, alors que cette religion restait encore assez souterraine à Rome même. Des lieux de prière avaient été édifiés pour leur culte, tranchant particulièrement avec le faste que nous avions à servir les dieux du Panthéon. Marc Aurèle se révéla durant le voyage très critique quant aux us et coutumes des chrétiens, qui refusaient ainsi toute la lumière apportée par Rome. Enfin, au cœur de l’été 176, nous entrâmes enfin à Athènes, laissant derrière nous les étapes les plus épiques de notre voyage. Si l’année précédente nous nous étions contenté de passer un peu plus au nord, j’avais là l’opportunité de retrouver des pans de mon passé, dont les souvenirs, au contact des lieux qui avaient bercé mon enfance, pouvaient enfin refaire surface. ![]() Du haut de l'Acropole, 7 siécles nous contemplent Marchant dans les ruelles de la vieille Athènes, je pouvais un peu oublier les événements de l’année passée, détachant enfin mon esprit des manigances de Schnickeon. Celui-ci s’était révélé particulièrement discret depuis notre affaire commune à Alexandrie, et c’est non sans une certaine joie que j’écoutais les ragots, toujours coutumiers à la Cour, parler des difficultés de Schnickeon pour garder son emprise sur Commode. La lutte d’influence était le sport favori des intrigants romains, et Marc Aurèle n’avait pas fait mystère que son fils serait appelé à régner après lui. Schnickeon avait réussi à s’imposer auprès de Commode, ce qui s’était traduit par quelques cadavres abandonnés le long de la route qui nous avait conduit de la Grèce à l’Egypte. Il lui fallait maintenant consolider un peu plus sa position, alors que de nouveaux favoris louvoyaient autour de Commode. Perennis, déjà présent depuis plusieurs mois dans cette longue suite, semblait l’étoile montante du régime qui se mettrait en place avec l’avènement du fils de Marc Aurèle. N’hésitant pas à prostituer son fils Chal, qu’il envoyait directement dans le lit de Commode, Perennis disposait d’un atout supplémentaire face à Schnickeon, qui pouvait difficilement rivaliser avec la jeunesse de Chal. Le climat de guerre larvée qui s’instaurait depuis quelques temps autour de la personne de Commode n’avait rien de feutrée, maintenant que Schnickeon avait pris toute la mesure du danger représenté par Chal et Perennis. J’avais malheureusement bien conscience que je pouvais constituer une carte dans le jeu de Schnickeon depuis que celui-ci me tenait, restait à savoir quand et comment cela allait se concrétiser. Avec un peu de chances, Schnickeon ferait partie de la prochaine charrette de victimes, et la pression qu’il exerçait sur moi disparaîtrait aussitôt. Enfin cela restait une prière assez vaine, car j’avais pu observer comment le machiavélisme de Schnickeon lui permettait d’échapper aux embûches et de manipuler tout son entourage, à commencer par le fils de l’empereur. Tandis que le début de l’automne s’étendait sur la Grèce et que Marc Aurèle s’initiait aux Mystères d’Eleusis, je me rendais dans les entrepôts où je savais que mon frère Chazam faisait fleurir son commerce. Je ne l’y trouvais pas – ce qui m’étonnait guère, le sachant certainement quelque part au bout du monde, à négocier tel ou tel objet dans des quantités pharaoniques – mais constatait une activité fonctionnant au ralenti. Les assistants de Chazam me pressèrent de questions sur lui dés qu’ils apprirent qui j’étais, ce qui ne lassa pas de m’inquiéter. Désappointés d’apprendre que je n’avais pas eu de nouvelles de mon frère depuis que je l’avais croisé au nord d’Athènes un an plus tôt, ils me racontèrent ce qu’ils savaient. Apparemment le voyage organisé par Chazam en Judée afin d’y faire du négoce avait tourné court, ou plutôt avait, à un moment ou un autre, sérieusement dérapé. Au bout de quelques mois, inquiet de ne pas avoir de nouvelles de leur patron, qui n’avait donné aucun signe de vie alors qu’il envoyait habituellement un nombre impressionnant de messages, de consignes et d’ordres divers, les assistants de Chazam avaient commissionné l’un des leurs afin de retrouver sa trace à travers les terres de Judée et de Samarie. Il s’avéra que si le bateau sur lequel avait embarqué Chazam était bien arrivé à destination à Césarée, les contacts avec lesquels il devait négocier dans la région ne l’avait jamais vu. Certaines sources affirmaient bien avoir entendu parler d’un dénommé Chazam le Grec, mais ses pas semblaient s’être perdu quelque part du côté de Jérusalem. Après plusieurs semaines de vaines recherches et d’une enquête infructueuse, le négociant envoyé par les siens était revenu à Athènes, sans en avoir découvert plus. Depuis, se lamentaient les assistants de Chazam, l’activité avait considérablement freiné, les hommes étant dans l’incapacité de reproduire le génie aventureux de leur patron. Non seulement plus aucun nouveau contrat n’avait été mis en place depuis des mois, mais en plus le travail initié par la poigne de Chazam se heurtait maintenant à l’absence de celui-ci. Me montrant ainsi quelques ballots qui attendaient dans un des entrepôts, un assistant me confirma que de par sa jeunesse et son courage, Chazam s’était fait connaître jusqu’aux limites de l’empire, et que des hommes biens plus âgés que lui étaient incapables de faire preuve du charisme qui l’animait. Sans Chazam, son commerce commençait dangereusement à péricliter. Assistants et négociants avaient attendu le plus longtemps possible, espérant un retour du jeune prodige, mais la désolation qui pouvait se lire sur mon visage enterrait tous les espoirs. La débandade sonnait, et les commerçants ne tarderaient pas à lâcher définitivement le commerce autrefois très lucratif mis en place par Chazam. Follement inquiet pour mon jeune frère, mais ne sachant par où commencer une recherche qui jusque là avait été infructueuse, je rongeais mon frein, attendant impatiemment que Marc Aurèle lâche son étude de religions de bonnes femmes et daigne mettre le cap sur Rome. Enfin le moment arriva ou l’empereur, certainement épuisé par tout ce qu’il avait pu vivre à Athènes, décida que nous devions retourner à Rome. Alors que nous embarquions tous sur le bateau qui devait nous emmener à Brindisi, je ne jetais qu’un regard troublé sur les collines grecques. Ce fut pourtant la dernière fois que je vis ma patrie. S’ensuivirent quelques jours de navigation, puis trois longues semaines nécessaires pour remonter toute la péninsule italienne. Le voyage nous emmenait vers le Triomphe organisé à Rome pour Marc Aurèle, absent depuis 7 ans, et son fils Commode, qu’il souhaitait nommer Consul. ![]() Le tour du Monde en 2550 jours La route fut longue, comme je vous l’avais déjà raconté au début de ce récit, et ce que je vis du Triomphe à Rome emplit mon cœur de peine, à voir un vieil empereur marcher à pied alors que son fils récoltait toute la gloire, fanfaronnant sur son char. Mais mes pensées étaient tournées ailleurs, vers l’homme qui venait de se présenter à moi dans la tribune que j’occupais, et d’où j’observais le pathétique spectacle d’une fin de règne. L’homme était plutôt de taille moyenne, et portait sous sa toge un bien étrange vêtement, non par sa couleur ou sa matière, mais par le motif qui y était cousu. « - C’est un hydre, j’ai acheté ce vêtement lors d’un voyage en terre Parthe, il y a de cela des années, cela remonte à ma jeunesse, avant que ce bonhomme ne naisse ! Et l’homme passa sa main dans la touffe de cheveux du garçon qui l’accompagnait, et qui ne perdait pas une miette du spectacle qui se déroulait plus bas. Je portais mes yeux sur l’homme qui était en face de moi, et qui pour me saluer, me prit le poignet dans sa main droite. Je faisais de même. -Tu es l’enquêteur dont on m’a tellement parlé ? L’homme se redressa, fier que sa renommée soit allé jusqu’à l’entourage de l’Empereur. -Oui, parfaitement ! Lucius Coelius, pour te servir. Et voici l’un de mes fils, qui j’espère prendra ma succession quand il sera plus vieux. N’est-ce pas, Jmlus ? » Complètement insensible à la main de son père qui s’attardait sur sa chevelure débordante, Jmlus continuait à s’émerveiller devant le spectacle impérial. |
#10
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C'est mignon à cet age !
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